Suite texte du 12 février (La Solitude, chapelle néogothique) "1".
Quand un siècle plus tard, le Séminaire de Saint-Sulpice est protégé au titre des Monuments Historiques que ce soit par simple inscription (pour l’ensemble, par arrêté du 16 février), ou par classement (arrêté du 12 avril 1996, pour un nombre choisi d’ouvrages de qualité et d’intérêt supérieurs), cette chapelle figure dans le second arrêté qui institue une protection maximale. C’est le seul parmi les monuments de « La Solitude » à y être inclus, aux côtés d’autres très prestigieux situés dans la parcelle principale (la Grande Chapelle, le nymphée notamment).
et cette distinction ?
Dès le premier regard, la façade séduit par une composition particulièrement heureuse, qui ne souffre pas du positionnement décalé du portail principal sur la droite. Au contraire, par l’asymétrie qu’il génère, il participe, voire ajoute, au pittoresque du parti général, où se distinguent notamment la silhouette découpée des gables et des pinacles, ainsi que les motifs décoratifs et les modénatures d’inspiration médiévale. Manifestement la référence ultime de l’élévation est la Sainte Chapelle (dans des dimensions plus réduites évidemment) : sous la toiture de grande hauteur, les fenêtres aux remplages typiquement gothiques alternent avec des contreforts étroits et ouvragés qui donnent à l’ensemble un mouvement ascendant. Quelques figures sculptées sont distribuées sur le pourtour, notamment sur le mur-pignon de l’entrée. Ce sont celles de moines appartenant à d’importants ordres religieux créés au Moyen Age, dont les Bénédictins et, reconnaissables à leur chapelet, les Dominicains.
A l’intérieur, l’espace, à la hauteur caractéristique du gothique, frappe par l’impression de vie qui s’en dégage et dont le charme opère sur le visiteur autant que sur le fidèle. Le décor et la statuaire – plus abondants qu’à l’extérieur – créent un univers animé où l’œil est sollicité de toutes parts. On remarque tout juste au sommet du mur d’entrée un dispositif curieux : une fenêtre de second jour qui ouvre sur un petit oratoire situé à l’étage du bâtiment d’habitation (et classé M H en raison de son lien avec la chapelle).
Tout le reste des élévations est paré de statues en pied qui se déploient en deux registres principaux. Le registre supérieur, réservé aux apôtres, met chacun d’entre eux en valeur en adoptant un parti architectural assez élaboré, comprenant un dais et un socle porté par un ange en surplomb. Le registre inférieur attire et retient davantage l’attention : il aligne, en une seule rangée de petites niches régnant sur tout le pourtour, les statuettes des 72 disciples de Jésus. Ce sont en quasi-totalité des ecclésiastiques : des moines, des évêques (beaucoup), revêtus d’amples robes et priant, lisant d’épais livres, prêchant, portant un crucifix… Leurs postures et leurs gestes variés, les attributs qui les différencient animent sans conteste leur procession immobile. Mais c’est surtout par leur multitude qu’ils impressionnent.
Dans le chœur, les statues imposantes des quatre grands Docteurs de l’Eglise latine (Saint Amboise, Saint Augustin, Saint Grégoire et Saint Jérôme) entourent une Vierge à l’Enfant majestueuse et pleine de vie qui, derrière l’autel, ressort avec force sur le fond très coloré d’une chapelle à la voûte octopartite de dessin plutôt sophistiqué.
Par sa volumétrie, sa composition et son programme sculpté, cette chapelle se présente comme une œuvre néogothique parfaitement homogène. Par sa date de construction, elle compte d’ailleurs parmi les premiers édifices cultuels de ce style réalisés en France. Elle est exactement contemporaine des grandes restaurations entreprises dans les églises médiévales de Paris (Saint-Germain-l'Auxerrois, Notre-Dame de Paris débutée en 1844) dans un contexte plus général de redécouverte de l’architecture du Moyen Age.
C’est son décor surtout qui en fait un parfait exemple de l’art néogothique : opulent, fouillé, presque pompeux, bref « flamboyant ». Il confine au genre dit « troubadour », non exempt d’un certain romanesque, comme en témoigne la façon finalement distrayante, sinon plaisante, dont la galerie des disciples renoue avec une certaine tradition médiévale.
Une question se pose alors : comment s’explique ce recours au néogothique, jusque dans ses manifestations les plus extrêmes ? Et plus particulièrement, que représente ce style à cette époque ? Répond-il uniquement à des considérations esthétiques, ou fait-il aussi écho à des valeurs et à des partis symboliques plus puissants ? Pour le courant « troubadour », la réponse est simple. Il rencontrait depuis les premières années du XIXe siècle un engouement extraordinaire dans la peinture historique et, plus encore peut-être, en littérature avec la parution d’œuvres auxquelles peut se rattacher le célèbre « Notre-Dame de Paris » de Victor Hugo (1831). La résurrection des formes médiévales dont il participe connaît parallèlement une vogue semblable dans tous les domaines de l’art. Sur le plan architectural, qui nous intéresse plus spécifiquement, on parle de « Gothic Revival ». En complète réaction au rationalisme des Lumières, celui-ci s’attache à mettre l’accent sur les effets visuels et les valeurs émotives de l’art. Il exalte par-dessus tout le pittoresque et le sublime. Les atmosphères de mystère qui en découlent s’accordent parfaitement avec le sentiment religieux prévalent à l’époque. Le néogothique apparaît dès lors tout spécifiquement approprié à l’architecture sacrée, celle des églises et des chapelles.
Comme de surcroit il s’inscrit dans une réaction contre un art classique issu de l’Antiquité païenne, il peut s’interpréter comme une démarche d’enracinement dans les valeurs chrétiennes. Dans cette optique, il finira d’ailleurs par se poser en symbole d’un renouveau de la foi religieuse. Dans le même temps et suivant le même processus, il fait volontiers figure de nouveau « style national » : par-delà le classicisme d’origine italienne et plus anciennement romaine et grecque, il fait référence aux traditions et au passé nationaux et ouvre ainsi une voie privilégiée vers le « génie » de la France éternelle. (A l’époque, l’architecture du XIIIe siècle, particulièrement florissante en France, se voit reconnaitre une sorte de supériorité dans l’art du Moyen Age dont le modèle se trouve dans les grandes cathédrales et chapelles palatines, et notamment Notre-Dame de Paris et la Sainte-Chapelle). Comme tel, chez les membres du clergé et des congrégations qui en ce début du XIXe siècle postrévolutionnaire reviennent se fixer sur la terre de leurs aînés, le choix du néogothique vient donc incontestablement conforter une affirmation de leur sentiment de légitimité historique.
Lithographie de la Solitude en 1826 |
Florian Goutagneux
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire