23 novembre 2024

Le comte Charles-Pierre de l'Espine, propriétaire du domaine des Conti - 1

 A la fin de la Révolution, le château et surtout le parc des Conti sont dans un triste état. Le dernier propriétaire, après avoir fait de mauvaises affaires, a notamment fait abattre tous les arbres pour pouvoir les vendre. Finalement, ses affaires ne s’arrangeant définitivement pas, il a dû se résoudre à se séparer de l’ensemble du domaine qui est acheté par Charles-Pierre (ou Pierre-Charles) de Lespine le 18 mars 1809.
L’acquéreur est le descendant d’une famille qui, sous Louis XIV, appartenait à la haute bourgeoisie parisienne. Un de ses aïeux, Nicolas Delépine (1642 – 1729) est un architecte, bourgeois de Paris, qui, possède des armoiries enregistrées à l'Armorial général de 1696 : de gueules à un chevron d'or accompagné de trois roses d'argent tigées et feuillées de sinople (ci-contre

Armoiries. © XDR
Selon les sources, Pierre-Jules (le père de Charles-Pierre), né à Paris le 2 mars 1707, aurait été « greffier du parquet à la 1chambre des requestes du Palais » ou / et contrôleur des Bâtiments du Roi – fonction prestigieuse, mais mal rétribuée en ces années où la dégringolade du budget, entraine des retards de paiement s’étendant sur plusieurs années. Son mariage, conforme aux usages endogamiques de son milieu, le voit épouser le 4 juillet 1746 une cousine, Geneviève-Jeanne de Lovat, fille d’un Conseiller correcteur en la Chambre des Comptes de Paris.
Leur fils, Charles-Pierre – qui nous intéresse ici -, naît le 1er février 1750 à Bougival. Parvenu à l’âge adulte, ses premières années apparaissent moins brillantes que n’aurait pu lui promettre son milieu familial. Pour autant c’est sans doute de celui-ci qu’il détient, et conservera longtemps, diverses créances - dont une sur le comte d’Artois qui témoigne de liens durables tissés avec la famille royale. Le 15 décembre 1783, il épouse Angélique-Geneviève Boscheron dont il a une fille également prénommée Angélique deux ans plus tard. Puis il s’éloigne de la capitale pour prendre la direction de l’atelier monétaire de Lille. C’est là un moment capital dans son existence, car la fabrication de la monnaie était sous l’Ancien Régime traditionnellement confiée à un nombre restreint de familles. Or Charles-Pierre n’en faisait pas partie (parmi ses ascendants ce sont principalement les architectes qui sont en plus grand nombre). C’est donc par suite d’une décision peu conventionnelle, ainsi qu’à la faveur d’opportunités particulièrement heureuses, qu’il a pu embrasser la profession. 
Il passe au travers de la tourmente de la Révolution. En 1792, alors que sa femme vient de mourir, il poursuit à Orléans une carrière de directeur d’atelier monétaire qui lui réussit. Il s’y installe pour un temps et, à la fin de l’année 1793, s’y remarie avec Félicité-Alexandrine Masson. Agée de 18 ans, celle-ci est la « fille encore mineure » d’un gros « marchand taillandier, intéressé dans les affaires du Roi [comme l’écrivent les chroniqueurs de l’époque] » au sein de la Ferme générale et de surcroit propriétaire depuis 1786 d’un vaste château dans les environs immédiats d’Orléans, le château du Rondon (qu’il revendra en 1804). C’est à Orléans encore que naissent les deux fils du couple : l’aîné, Charles, le 15 février 1797, et le cadet, Émile, le 22 mai 1799. 

Monnaie de Paris. © XDR

Pourtant dès 1796 (soit un an environ après l’instauration du Directoire) on retrouve Charles-Pierre Directeur de la Monnaie de Paris (ci-dessus). Le poste est au cœur de diverses réformes de la Révolution qui affectent très concrètement la fabrication de la monnaie, non pas tant dans les processus techniques que dans les produits eux-mêmes : les pièces sont désormais déclinées selon le système décimal (conformément au décret du 24 août 1793) et la dénomination de « franc » est réintroduite par la loi du 28 thermidor an III (15 août 1795). Pour sa part, le nouveau Directeur adopte comme marque de fabrique, pour signer toutes les pièces frappées sous son administration, un poinçon représentant un coq (avec la lettre « A » pour « atelier de Paris »). 
Ses nouvelles fonctions lui donnent-elles des entrées dans le monde de la finance et de la banque ? Force est de constater en effet que, comme le rapporte Joseph Naud , il « participa à l’établissement de la Caisse hypothécaire, à l’administration de la Caisse d’escompte, … [et] … avait des intérêts dans la Compagnie royale d’assurances, la Compagnie française du Phénix, etc.». Il est également très actif sur le marché de l’immobilier et du foncier où il multiplie avec succès les transactions, achetant et revendant des biens à Paris et dans ses environs, ainsi qu’en Normandie et dans le Berry. 
Il opère de même à Issy où, à partir de 1818, lui-même et sa famille se constituent progressivement un patrimoine considérable, par achats successifs sur toute l’étendue du territoire communal jusque sur l’Île Saint-Germain. Il peut par ce biais agrandir l’ancien domaine des princes de Bourbon-Conti (ci-dessous) de quelques parcelles attenantes et porter sa superficie de 16 à 18 hectares. 


Le domaine des princes de Conti. © XDR

Il lui rend en outre son plus bel aspect en replantant le parc, retraçant les allées etc. Le château lui-même est remis en état et agrémenté de quelques dépendances nouvelles : une orangerie qui, depuis la rue de plus en plus fréquentée, « masque[uant son] le vaste château » comme le remarque Pierre Miquel tandis qu’à l’arrière, un peu plus haut au sud, les communs sont allongés et élargis.
Florian Goutagneux. 
A suivre le 23 novembre, 18 h.


 Sources

CE.-A., Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du XIXe siècle, Evreux, imprimerie Ch. Herissey, 1918, tome 16e, p 215 et 216

Joseph Naud, Le château d’Issy et ses hôtes, Paris librairie ancienne Honoré Champion, 1926, pp. 406 – 411

 Issy-les-Moulineaux, cadastre numérisé, 1807-1808, Archives départementales des Hauts-de-Seine

4Nicolas Chabrol, Une esquisse de Michallon […] au Louvre, in La revue du Louvre et des musées de France, 1989, 5/6, pp. 350 à 352

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