Aujourd'hui, 22 janvier, on célèbre la Saint-Vincent, le patron des vignerons. Cette année 2022, la famille Legrand fête ses 110 ans de vie isséenne… l'occasion de découvrir l'histoire de cette famille hors du commun.
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Les vignes et le restaurant Issy Guinguette aujourd'hui.
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Pierre et Alexandre Legrand
L’histoire de la famille Legrand débute avec celle de deux frères jumeaux Pierre et Alexandre. Ces deux enfants, petits derniers d’une fratrie de six, sont nés en 1888 dans une famille de commerçants de Pantin en Ile-de-France. Nés prématurés, leur mère les dépose dans des boîtes à chaussures garnies de coton pour leur tenir chaud… Ils survivent mais deviennent orphelins très jeunes et « sans le sou ». Leur oncle Antoine Descours les recueille alors. Il est frère Antoine des Écoles Chrétiennes des Francs-Bourgeois à Paris dans le IVe arrondissement.
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Pierre et Sabine. |
Pierre et Alexandre, à l’âge adulte, accomplissent leurs trente-six mois de service militaire obligatoire qui s’achève en 1912. Ils ont fait la connaissance de deux sœurs à Saint-Jeures près d’Yssingeaux en Haute-Loire et ils les épousent en 1912 :
Pierre s’unit à Sabine (
ci-contre) et
Alexandre à Marie (
ci-dessous). Sabine, grand-mère d’Yves Legrand, avait dû commencer à travailler dès l’âge de 6 ans en faisant des ménages pour seconder sa mère.
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Alexandre et Marie. |
Toujours en 1912 à Issy-les-Moulineaux, les deux couples gèrent en commun une boutique d’épicerie alors rue Ernest-Renan, ce qui correspond au n° 1 de l’actuelle rue du Général-Leclerc (ci-dessous). Un commerce de restauration rapide s’y trouve de nos jours.
Deux ans après, Pierre et Alexandre sont rappelés par l’Armée dès le début de la Grande Guerre et restent sous les drapeaux jusqu’au bout. Leurs femmes qui gèrent le commerce pendant leur absence, craignent sans cesse de recevoir « un billet bleu » annonçant un décès, ce qui n’arriva heureusement pas.
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La Grande Épicerie en 1912, rue Ernest-Renan
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En 1915, Pierre sergent au 367e RI écrit un poème Douleur et Charité sur l’abandon dans une gare d’un enfant finalement recueilli par une religieuse. Deux alexandrins évoquent une situation tragique :
« L’endroit est près du front et quand le vent cesse,
On entend le canon qui détruit, tue ou blesse… »
Après les combats qui s’achèvent en 1918, les deux frères font partie de l’armée d’occupation en Allemagne jusqu’en 1919. 10 % seulement des soldats, comme eux ayant connu toute la guerre, ont pu revenir...
En 1919 donc, les deux frères tirent à la courte paille pour savoir lequel d’entre eux doit partir car l’épicerie ne peut faire vivre deux ménages. C’est ainsi que Pierre et Sabine reprennent une épicerie parisienne rue de la Banque, avec accès à la galerie Vivienne (Paris IIe).
Les deux épiceries isséenne et parisienne sont gérées en harmonie par les jumeaux qui se remplacent l’un l’autre lors de leurs vacances respectives. Leurs clients ne s’en aperçoivent pas et pensent qu’ils ne s’absentent jamais !
Lucien Legrand
Fils de Pierre et de Sabine, Lucien (ci-dessous) reprend l’épicerie paternelle en 1945 avec son épouse Lucie. Leur fils Yves y fait d’ailleurs ses premiers pas et joue dans les jardins du Palais-Royal.
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Lucien, dans sa cave. |
Il se souvient que ses parents tenaient « table ouverte » tant pour leur personnel que pour d’autres convives dans ce quartier de la presse et des imprimeurs, tout proche de la Bibliothèque Nationale et de la Banque de France. Il y avait des étudiants soviétiques, des journalistes comme Jean-François Revel et des artistes tels Pierre Arditi ou Jean Poiret. Lorsque Courtine, fameux critique gastronomique, écrivait un article élogieux dans Le Monde, « la boutique était pleine pendant trois semaines. » À l’époque, une soirée parisienne réussie devait offrir aux invités « des vins Legrand, du pain Poilâne et des fromages Androuet ! »
En 1973, dans le quartier des Moulineaux, Lucien Legrand achète des galeries souterraines vendues par la Société Française des Champignons. Il les transforme en caves pour des vins fins et ouvre en 1975 une boutique au 113 bis, avenue de Verdun (ci-dessous). Lors de l’inauguration le jour du beaujolais nouveau, plus de 2 000 invités sont présents parmi lesquels Georges Brassens, Jean Carmet ou Robert Doisneau.
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La boutique, le Chemin des vignes, avenue de Verdun en 1945. Les livraisons de vin se font par voiture à chevaux. |
La boutique parisienne d’épicerie et de vins fins Legrand est reprise en 1986 par Francine, sœur de Lucien ; elle existe toujours mais est passée entre d’autres mains.
Yves Legrand et ses enfants
Yves Legrand insiste sur le soutien bienveillant qu’il a reçu de Monsieur Roger Le Bacon, membre de la société historique CRHIM et historien de la confrérie Saint-Vincent.
Cette confrérie est récréée en 1998 mais existe depuis au moins le XIVe siècle. Un acte notarial du 21 octobre 1534 fait mention d’une donation à la « Confrérie de Messire Saint Vincent. »
Une superbe enluminure à la feuille d’or représentant saint Vincent fut réalisée par Maître Jean-Luc Leguay. Il faut rappeler d’ailleurs que la plus ancienne église de la commune est consacrée à deux martyrs saint Étienne et saint Vincent, patrons des vignerons. Les monogrammes SE et SV sont sculptés sur les vantaux de la porte centrale offerte à la paroisse par Louis XIV et sa mère Anne d’Autriche.
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Vendanges annuelles. © PCB |
Les vignes furent plantées sur le coteau en contrebas de la ligne du RER en 1989 et sont dorénavant exploitées en bio et permaculture. Il y a des études du sol et du sous-sol ainsi qu’une « bibliothèque des premiers vins. Il est possible de déguster [avec modération] de quinze à vingt millésimes. Tout est réel, authentique. »
Depuis 1993, une classe isséenne d’un CM2 participe aux vendanges en automne. Il arrive que les écoliers actuels soient les enfants des premiers petits vendangeurs (ci-dessus) !
Yves Legrand a été élu par décision du conseil municipal ISSÉEN D’OR pour 2019. Cette distinction lui fut attribuée lors des vœux de Monsieur le Maire.
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A l'entrée des caves, hommage à Pierre Tosi. |
Deux des enfants d’Yves Legrand ont repris le flambeau familial. A l'entrée des caves, sous le porche, on peut admirer cette œuvre d’art (ci-contre) imaginée et réalisée en juin 2020 par son frère Mathieu et Sabaly Djedje. Avec des bûches et deux roues de carriole, ils rendent ainsi hommage à Pierre Tosi, cycliste professionnel, de 1972 à 1977, « grand sportif, homme généreux et humaniste. »
Mathieu, cuisinier par vocation, s’occupe du restaurant au nom évocateur : Issy Guinguette (restaurant@chemindesvignes.fr - 01 46 62 04 27). L’ensemble se situe au 113 bis, avenue de Verdun.
Un grand merci à Monsieur Yves Legrand qui avait déjà témoigné en 2013 sur le site d’Historim et qui, cette fois, a évoqué avec fierté et émotion l’histoire de sa famille, et nous a donné accès à des photos sorties des archives familiales. P. Maestracci
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Issy Guinguette : ambiance et convivialité. © PCB |