11 septembre 2021

Domenica, la mémoire du quartier des Épinettes

Domenica est une Isséenne de longue date, née dans la maison familiale rue Madeleine (Erevan de nos jours). Quelques années après sa naissance, la famille emménage pas très loin dans une maison neuve.

Son enfance
La famille est d’origine italienne. Pietro le père, issu d’une famille d’agriculteurs, vient d'Atina, au sud de Rome non loin du mont Cassin. Après la Première Guerre mondiale, il vient travailler comme maçon. Il habite d’abord au Bas-Meudon, puis dans un logement « au Maroc » (surnom du quartier près de l’actuelle place Léon Blum) avant de faire venir sa femme Caterina et ses enfants quand sa situation le lui a permis. Domenica fréquente l’école maternelle Paul Bert à deux ans et demi avant d’aller à l’école de filles rue du Fort (emplacement du futur collège de la Paix). 

Domenica et sa maman. Coll. privée.
La maman ouvre un café-épicerie au rez-de-chaussée de la maison en 1931. Les décors peints sur les murs ont depuis été recouverts. Le quartier cosmopolite est habité par « des Italiens, des Français, des Espagnols, des Arméniens ». Ceux-ci faisaient sécher la laine étalée sur des matelas posés sur les trottoirs de la rue de la Défense. Quand il faisait chaud, « les portes étaient ouvertes ». Il y a beaucoup d’entraide et quand sa maman faisait de la polenta, elle  partageait avec les voisins. 
Au verso de cette photo de Domenica et de sa maman (ci-contre), Domenica a écrit : « J’ai été au grainetier chercher des graines », rue du Docteur Lombard. 

Elle évoque aussi l’épicerie À la Grâce de Dieu (ou À la Gloire de Dieu)- http://www.historim.fr/2013/09/michel-robert-souvenirs-de-lepicerie-la.html - , rue Renan (devenue rue du Général Leclerc après-guerre). La livraison se faisait en carriole tirée par un cheval. Quand la petite fille est libre, elle va à la piscine municipale (remplacée par la piscine Alfred Sevestre, article de juin 2015). Elle se souvient de son « maillot blanc… J’étais fière » Et puis de son vélo (ci-dessus) qu'elle reçoit en cadeau pour ses 6 ans ; elle exige qu'on enlève les petites roues. Et lors du premier essai, elle tombe et s'ouvre le menton !

Seconde Guerre mondiale

Lors de l’exode en juin 1940, « tout le monde a voulu partir. Je suis partie avec mon baluchon mais ma mère m’a rattrapée sur le trottoir… Les clés étaient restées sur la porte ». L’école du Fort, ayant fermé au début de la guerre, Domenica fréquente ensuite l’école La Fontaine, rue Henri Tariel, puis l’école Jules Ferry. C'est une petite fille modèle, qui porte  (ci-dessous) la veste tricotée, comme tous les ans à Pâques, par sa maman. À 14 ans, Domenica  commence à travailler. 


Domenica. Coll. privée

Le ravitaillement est difficile. Devant la charcuterie Tanguy (emplacement du Centre administratif municipal), il fallait faire la queue dès 4 heures du matin pour avoir quelque chose. Certains vont à Villacoublay acheter « du beurre, des œufs chez les paysans. ». Ils glanent aussi à Velizy dans les champs après la moisson. « On revenait avec quelques sacs [de grain], on faisait sécher et moudre ». Une fois dans les bois de Clamart, la mère de Domenica eut une amende pour avoir coupé du bois au lieu de le ramasser. Autre anecdote, la viande rouge achetée une fois se révéla être du chien que la maman refusa de manger. La famille allait aussi acheter de la paille pour garnir les matelas à la graineterie qui se situait au début de la rue du Général Leclerc (un restaurant l’a remplacée). 

Domenica exerça plusieurs métiers. Elle commence dans l’enceinte du Fort pendant la guerre : elle soude et répare des fils téléphoniques cassés. Le travail se fait de jour ou de nuit en alternant chaque semaine. Lors des alertes, tout le monde se ruait aux abris, dans le Fort puis dans les champignonnières proches. Domenica travaille ensuite près de la Gare et des Arcades à réparer des filets de camouflage. Quand elle était de travail la nuit, sa maman lui apportait son repas vers 18 heures.

Domenica évoque les grenouilles dans le parc Henri Barbusse ainsi que les gros escargots, les crapauds et les chouettes la nuit.

En août 1944, les chars de la 2e DB passent en fin de journée avant la Libération de Paris. Il y eut aussi, rue de la Défense, des femmes tondues pour avoir fréquenté des Allemands.


Après-guerre

Dans la commune, Domenica travaille à la Blanchisserie de Grenelle et, sept ans, aux usines Mazda en tant que contrôleuse de la qualité des ampoules. Cette usine remplaça l'usine des lampes Larnande (ci-dessous), située à l'angle des rues Rouget-de-Lisle et Camille Desmoulins. Elle est, par la suite, employée de bureau à La Mutuelle des Pétroles à Paris dans le VIIIe arrondissement.


Usine des lampes Larnande. Carte postale début XXe siècle.

Son mari, lui, travaille à l’usine d’aviation Nieuport boulevard Gallieni, côté Paris en face de l’actuelle rue Maurice Mallet. Ses souvenirs du Tir aux Pigeons (en haut de la rue d’Erevan) sont gourmands : on pouvait « manger des pigeons à l’œil » quand ils tombaient aux alentours. Les pigeons étaient  « bien nettoyés mais il restait des plombs ». Les pratiquants du tir aux Pigeons étaient à leur aise : «  Il y avait de la bagnole ! ». Dans les rues, passaient des marchands de glace ou de châtaignes, des rémouleurs, des vitriers « chantaient la sérénade ». Texte de P. Maestracci


C'est ainsi que se termine ce beau témoignage, commencé dans le quartier surnommé avant guerre "le Maroc" (ci-dessous), aujourd'hui en pleine métamorphose avec le chantier de la gare de la ligne 15 !

- Merci à M. Stéphane Formont, conseiller municipal délégué à la politique culturelle qui est à l’initiative de ce témoignage.

- Merci également à Franck, petit-cousin très dévoué de Domenica.


Viaduc et arcades dans le quartier surnommé "le Maroc". Carte postale début XXe siècle.

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