3 février 2019

Val-de-Grâce : visite Historim - épisode 2

Après avoir découvert l'histoire du Val-de-Grâce, continuons notre visite du Musée du Val-de-Grâce qui, rappelons-le, fut  créé en 1916 pour y conserver ses archives. Il a été rénové à partir de 1982 selon la volonté du président Mitterrand qui inaugura les salles d’exposition temporaires en 1993. Quant à l’exposition permanente, elle ouvrit ses portes en 1998.

Musée du Service de Santé des Armées
Le musée s’articule autour du cloître à deux étages (ci-dessous) dont le rez-de-chaussée n’a que des fenêtres et pas d’arcades. La bibliothèque du Service de santé des Armées occupe toute une aile. Une autre abrite la salle capitulaire qui servit d’abord de chapelle avant l’érection de l’église. Elle est ornée des portraits de Louis XIII et Anne d’Autriche par Philippe de Champaigne.
D’une des salles, on peut apercevoir des vestiges du XVIe siècle : la Basse-cour,  ou cour Broussais avec la façade du réservoir à droite et les contreforts des murs du Petit-Bourbon à gauche.

Montage : le cloître avec la statue de Larrey. © A. Bétry
Dans les salles, sont exposés en grand nombre des textes officiels, des instruments, des tableaux et des sculptures, des maquettes etc. tous liés à la médecine militaire et d’un grand intérêt documentaire. Un choix arbitraire est fait dans ce compte rendu en prenant quelques exemples seulement. L’idéal est de venir visiter ce musée en prenant son temps !

Quelques textes : Sous Louis XIV, la première ordonnance de 1689, organisant le Service de santé de la Marine et un édit de 1708 organisant le Service de santé des Armées.
Des livres de médecine et de chirurgie, écrits le plus souvent en français depuis l’ordonnance royale de Villers-Cotterêts de François 1er.
L’affiche de l’an VIII (1800), qui crée l’« Hôpital militaire d’instruction de Paris au Val-de-Grâce »

Des tableaux : Un navire-hôpital avec un quartier-infirmier dans la soute ; la bataille de Maastricht avec l’évocation d’un poste de secours et la mort de D’Artagnan. D'autres encore… (ci-dessous).

Soins aux blessés. Tableau exposé au Musée. © A. Bétry

Des sculptures : Buste d’Ambroise Paré (1509-1590). Premier grand chirurgien, il inventa la ligature des vaisseaux pour remplacer la brutale cautérisation par le feu des blessures des membres. Il servit quatre rois mais sans pouvoir sauver Henri II blessé à mort lors d'un tournois en 1559.
Larrey ( 1766-1842 ) par David d’Angers. Autre très grand chirurgien, il soutient une « Thèse de chirurgie sur la carie des os dédiée à MM. les Capitouls », magistrats de Toulouse. Béarnais d’origine, il s’engage dès 1792 dans les armées révolutionnaires et opère sur le champ de bataille, contrairement aux ordres. Il arrive à pratiquer jusqu’à 100 amputations par jour grâce à une méthode expéditive (moins de 2minutes)de son invention. Il créa les « ambulances volantes ». En février 1807, Napoléon 1er lui remet son épée après la bataille d’Eylau. Il est le chirurgien en chef de la Grande Armée. Son nom est gravé sur l’Arc de Triomphe, comme ceux de Percy et Desgenettes. Celui-ci, épidémiologiste accompagna Bonaparte dans sa campagne d’Égypte et analysa les bubons des pestiférés. Son nom est donné à un hôpital militaire lyonnais.
Le prix Larrey est décerné par l’OTAN à un Service de santé allié pour ses travaux scientifiques concernant la médecine d’urgence.

Objets de la collection Debat (1882-1952 ) provenant d’une ancienne donation, dans les anciennes cuisines de l’abbaye. Les vitrines exposent des pots de pharmacie, des mortiers, des bourdalous qui sont des petits vases de nuit utilisés lors de longs sermons (de Bourdaloue) à l’église. Une statuette d’ivoire japonaise est surnommée « La femme médecine ». Sur celle-ci, la patiente japonaise montrait avec une aiguille le siège de sa souffrance sans avoir à se déshabiller.


Exposition sur la guerre de 1914-1918
A l'intérieur du musée, une exposition est consacrée à la Première Guerre mondiale, aussi meurtrière pour les combattants que pour les non-combattants au nombre de 168 000 : 16 000 personnels de santé (soignants), 10 000 brancardiers et 1 600 médecins.

Les salles exposent une multitude d’objets, de photographies, des sculptures en plâtre ou en cire polychrome réalisées par Jean Larrivé. Elles reconstituent des tranchées, des postes de secours etc. Dès août 1914, c’est « un désastre sanitaire ». Les soins et les transferts des blessés sont loin d’être prioritaires ; de plus, ils sont gérés par l’Intendance et non par le Service de santé. L’évacuation des blessés ne commence vraiment à s’organiser qu’à l’automne 1914. Barrès fit alors un discours à l’Assemblée nationale avec l’affirmation suivante « Les blessés sont faits pour être soignés ! ».


Toutes premières ambulances. © XDR
L'occasion pour notre guide de faire une présentation technique des soins de santé - un complément des articles parus sur notre site en novembre dernier. La réorganisation de la chaîne d’évacuation des blessés est repensée dès l’automne 1914. Le docteur Olivier Farret insiste sur l’importance de la chaîne de secours, suite à la prise de conscience des désastres sanitaires par Henri Dunant lors de la bataille de Solférino en 1859. La notion de "triage" est fondamentale. Cette conception française s’appuie sur l’acte diagnostic qui permet d’évaluer les chances de survie du blessé en fonction de sa gravité, des délais d’évacuation et des possibilités opératoires, Le médecin doit choisir parmi les blessés ceux que l’on peut sauver. Le chirurgien et écrivain G. Duhamel s’est exprimé sur ce sujet sensible. Depuis cette époque, le triage avec les priorités de prise en charge est la pierre angulaire de tout soutien médical. Il a été nécessaire lors des attentats récents comme celui du Bataclan à Paris en novembre 2015.
Progressivement les secours s’organisent lors de la guerre avec la création d’un Service de Santé militaire envoyant les meilleurs chirurgiens à l’avant près du front.

L’évacuation des blessés se fait d’abord vers une « ambulance » qui est une infirmerie-hôpital située à 10-15 kilomètres du front puis vers les hôpitaux. Il y eut 5,5 millions d’évacuations sanitaires pendant la Grande Guerre. Les moyens de transport ont évolué depuis les voitures hippomobiles remplacées ensuite par les Ford T (ci-dessus). Les trains d’évacuation quelconques ont laissé rapidement la place à des trains sanitaires spécialisés en nombre suffisant. Il y eut des transports par bateau pour l’Armée d’Orient et des tentatives d’évacuations aériennes.

Plusieurs vitrines exposent des masques à gaz (ci-dessous). Le 22 avril 1915, les Allemands envoient du chlore près d’Ypres sur les troupes belges et françaises pour enfoncer le front. Seuls les soldats canadiens se sont protégés avec des tampons imprégnés d’urine et « ferment la brèche » ouverte par les Allemands. Le gaz ypérite utilisé à partir de 1917 est mortel en raison des lésions pulmonaires et dermatologiques qu’il provoque.

Vitrine présentant des masques à gaz. © XDR
Instruments de chirurgie. © A. Bétry
Progrès de la médecine avant et pendant la guerre
Des vaccinations sont faites par des médecins militaires. À l’Institut Pasteur de Saïgon, Calmette dont le buste est exposé, vaccine les populations contre la variole ; H. Vincent vaccine contre la typhoïde avec un nouveau vaccin (9000 cas par mois). À la fin du XIXe siècle, Yersin découvre le bacille de la peste. Alphonse Laveran (dont le nom est donné à la place devant le Val-de-Grâce) découvre le parasite du paludisme. Il reçut le premier prix Nobel de médecine et de physiologie en 1907. Cela a suscité pour quelques Historimiens un commentaire judicieux sur les globules rouges par une spécialiste qui se reconnaîtra (Historim, ce sont aussi des précisions échangées entre ses membres !).

Alphonse Laveran (1845-1922). © XDR
La place de la radiologie est révélée lors de la Grande Guerre pour repérer les types de fractures et la localisation des projectiles. L’asepsie progresse grâce à la solution de Dakin. Les plaies abdominales mortelles à 100% en 1914 ne le sont plus qu’à 45% en 1917. Pour lutter contre le choc hémorragique, des essais de transfusion de bras à bras sont effectués. L’adjonction de citrate de sodium, anticoagulant, permet la conservation du sang.

La rééducation des blessés se fait dans de nombreux lieux y compris au Grand-Palais à Paris, illustrée par un tableau. À Issy-les-Moulineaux, Les Petits-Ménages (Corentin Celton) et Saint-Nicolas furent réquisitionnés comme hôpitaux militaires. Voir les articles de notre Historimien Denis :
http://www.historim.fr/2018/11/issy-les-moulineaux-le-sort-des-blesses.html
http://www.historim.fr/2018/11/grande-guerre-medecins-infirmieres-et.html

La chirurgie maxillo-faciale eut à soigner « 500 000 gueules cassées ». Là encore, il y eut heureusement des progrès majeurs car ces blessés étaient antérieurement laissés sur le champ de bataille. Dès le début du conflit 1914-18, ils furent évacués et bénéficièrent de soins spécialisés. Les traumatismes psychiques liés à la violence de la guerre ont été soignés de façon empirique. Gustave Roussy traitait les malades avec des chocs électriques !

Cour intérieure. © A. Bétry

Le docteur Olivier Farret en guise de conclusion d’une visite dense et intéressante du Musée a évoqué l’actuelle évolution du Service de Santé des Armées. Les champs de bataille sont de plus en plus lointains pour une armée désormais composée de professionnels. Ceux-ci reçoivent une formation de sauvetage au combat. « Chaque soldat peut enclencher les premiers soins de lutte contre l’hémorragie pendant les 10 premières minutes dites de platine mettant en jeu le pronostic vital » par exemple en posant un garrot. Le médecin-réanimateur intervient dans la "golden hour", première heure décisive. Une « échographie peut être faite dans le désert comme au Mali ». Le système Morphée permet d’embarquer à bord d’un avion sanitaire 12 blessés graves, en continuant les soins de réanimation jusqu’à leur prise en charge dans les hôpitaux militaires de métropole.

Lors de la visite de l’exposition « 1914-1918, le soutien militaire des contingents d’Outre-mer » il est présenté un document exceptionnel surnommé la « pierre de Rosette du Val-de-Grâce ». C’est un texte sur la prévention du paludisme pour l’Armée d’Orient et la population de Salonique et de la vallée du Vardar. Il est écrit en grec, hébreu et arabe avec la traduction du texte grec en français. C’est une référence prestigieuse à la Pierre de Rosette conservée au Royaume-Uni, stèle de basalte gravée en hiéroglyphes, en caractères démotiques et grecs. Leur transcription fut l’œuvre de Champollion.

Place maintenant à la découverte de la magnifique église du Val-de-Grâce. A suivre le 7 février, 18 h.
 P. Maestracci


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