11 janvier 2019

Jean-Baptiste Louis, le procureur-fermier des Moulineaux

Un procureur parisien, Jean-Baptiste Louis, devenu fermier aux Moulineaux, sous les Thermidoriens… cette vie surprenante est racontée dans un livre de souvenirs. L’édition est réalisée et savamment commentée par M. Geoffroy Caillet dans le livre : Jean-Baptiste Louis. Mémoires d’un avocat au cœur des révolutions 1789-1830 (Éditions La Mémoire du Droit, Paris, 2016)

Du parlement à la ferme
Jean-Baptiste Louis est né en 1760 dans une famille de modestes laboureurs. Il commence à travailler à l’âge de 13 ans pour un avocat-procureur de Rethel (Ardennes). Il devient clerc puis maître clerc à Paris en 1780 chez maître Corvisart (dont le fils devint un célèbre médecin ). Il en reprend la charge et devient procureur au Parlement de Paris (à l’époque, cour de justice du roi Louis XVI ).

Jean-Baptiste Louis, catholique fervent et royaliste, est d’abord sensible aux idées révolutionnaires mais est révulsé par les épisodes violents dès juillet 1789 lors de la Grande Peur et jusqu’à la Terreur de l’an II. Ensuite, il travaille à la Trésorerie nationale lorsqu’en 1796 M. Timbergue, ancien avocat, lui fait obtenir le bail pour l’exploitation d’une moitié de la Ferme du domaine des Moulineaux. « De vastes bâtiments, une cour appropriée à tous les besoins ». Cette propriété de 150 arpents (51 hectares environ) qui avait appartenu à l’ordre des Chartreux de 1343 à 1790, fut confisquée comme bien national puis vendue au marquis de Soyecourt avant d’être louée par les enfants de celui-ci à deux exploitants. Les lots sont tirés au sort entre Louis et « un ancien « procureur au Châtelet, Cliquer de Fontenay » qui a loué l’autre moitié du domaine.

Carte des chasses du roi (1764-1773)

Sur le plan (ci-dessus), les 150 arpents sont nettement identifiables sur le plan. Cela correspond approximativement à l’espace compris entre l’avenue de Verdun, la Seine et les rues de Vaugirard et du docteur Lombard. Les bâtiments de la ferme sont disposés en U autour d’une cour et les 150 arpents se distinguent nettement sur le plan. Au nord, au-delà du petit bras de la Seine, l’île de Billancourt (Saint-Germain de nos jours), faisait partie du domaine des Chartreux et était louée à ceux qui l’exploitaient.


Carte des Moulineaux, avec les terres cultivables.
Jean-Baptiste Louis y pratique la polyculure, vend des fruits, du foin. « Au besoin, je conduisais la charrue. J’endossais le semoir » . Grâce à son troupeau de dix vaches, il envoie son commis vendre le lait à Paris. Malheureusement pour lui, la propriété est vendue aux enchères dix-huit mois après et est achetée pour moins de 100 000 francs par Huvelin, « un ancien maître de forges ». Il quitte les Moulineaux en juillet 1798 et négocie difficilement les indemnités de départ qui lui sont dues avec ledit Huvelin.

Le village d’Issy est encore un peu éloigné des Moulineaux qui forme alors un hameau indépendant. Ce n’est qu’en 1893 que les deux sont réunis. Quant à Huvelin, il revend en 1803 la Ferme des Moulineaux à Alexandre Berthier, futur maréchal d’Empire et prince de Wagram.

Retour au Droit parisien
Jean-Baptiste Louis revient au Droit à Paris après cette période aux champs. « Ami docteur Corvisart », fils de son ancien maître et médecin de Napoléon 1er, il en est l’exécuteur testamentaire en 1821. Il finit sa carrière en tant que bâtonnier de l’ordre des avocats de 1829 à la Révolution de 1830. Il se retire sous Louis-Philippe 1er et vit de ses rentes jusqu’à sa mort en 1834.
Clin d’œil de l’Histoire, l’École de Formation du Barreau est installée dans la commune depuis 2011, mais rue Berryer à l’opposé de la Ferme des Moulineaux.

Le long de la voie ferrée
© A. Bétry
La Ferme fut exploitée jusque dans les années 1960, selon les souvenirs des Isséens. Il ne reste rien des bâtiments et encore moins des terres. Seule subsiste l’évocation du passé dans le nom du quartier La Ferme/Les Îles/Les Chartreux. Et pourtant… il n'est pas si rare de voir déambuler à Issy-les-Moulineaux des moutons d'Ouessant et chèvres naines (boulevard Garibaldi ci-contre)… des oies (en bas), et découvrir au détour d'un chemin de l'île Saint-Germain, des ruches (ci-dessous) ! P. Maestracci.


Dans l'île Saint-Germain.© A. Bétry




Pour en savoir plus sur le quartier :
http://www.historim.fr/2011/01/la-ferme.html

Un grand merci à M. Claude Renault, descendant de Jean-Baptiste Louis, qui m’a confié cet ouvrage érudit de M. Geoffroy Caillet et a évoqué le souvenir de leur ancêtre commun, fermier isséen de 1796 à 1798.



Marché des producteurs de pays sur la grand place. © A. Bétry