Saint-Simon, château de Versailles. ©XDR |
Voici le texte en question.
"M. le Duc [il s'agit de Louis IV Henri de Bourbon-Condé, chef du Conseil de Régence du jeune Louis XV de 1715 à 1723], peut-être mieux Mme de Prie [la maîtresse du duc de Bourbon], qui le gouvernait et qui était elle-même conduite par les Pâris, s'ennuya de ce témoin unique de ce travail, et pour s'en défaire pratiqua un jour, qu'au moment que M. le Duc allait arriver pour le travail, et que le cardinal [de Fleury] était déjà entré, le roi [le jeune Louis XV] prit son chapeau, et sans rien dire au cardinal s'en alla chez la reine qu'il trouva dans son cabinet, qui l'attendait avec M. le Duc.
"Le cardinal demeura seul plus d'une heure dans le cabinet du roi à se morfondre. Voyant le temps du travail bien dépassé il s'en alla chez lui, envoya chercher son carrosse et s'en alla coucher à Issy au séminaire de Saint-Sulpice, où il s'était fait une retraite pour s'y reposer quelquefois. En attendant son carrosse il écrivit au roi en homme piqué, et très résolu de partir sans le voir pour s'en aller pour toujours dans ses abbayes. Il l'envoya à Nyert, premier valet de chambre en quartier.
Le jeune Louis XV. © XDR |
"Quelque temps après le roi revint chez lui et Nyert lui donna la lettre. Les larmes, car, il était bien jeune [il a alors 8 ans, à gauche)], le gagnèrent en la lisant, il se crut perdu n'ayant plus son précepteur, et s'alla cacher sur sa chaise percée. Le duc de Mortemart, premier gentilhomme de la chambre en année, arriva là-dessus. Nyert lui conta ce qui était arrivé du travail, de la lettre, des larmes, et de la fuite sur la chaise percée. Le duc de Mortemart y entra et le trouva dans la plus grande désolation. Il eut peine à tirer de lui ce qui l'affligeait de la sorte. Dès qu'il le sut, il représenta au roi qu'il était bien bon de pleurer pour cela, puisqu'il était le maître d'ordonner à M. le Duc d'envoyer de la part de Sa Majesté chercher Fleury, qui sûrement ne demanderait pas mieux, et dans l'extrême embarras où il vit le roi là-dessus, il s'offrit d'en aller porter sur-le-champ l'ordre à M. le Duc. Le roi délivré sur l'exécution l'accepta, et le duc de Mortemart alla tout aussitôt chez M. le Duc qui se trouva fort étourdi, et qui après une courte dispute obéit à l'ordre du roi.
Le cardinal de Fleury, par H. Rigaud. ©XDR |
"Comme la chose était arrivée avant le soir sur la fin de l'après-dînée elle fit grand bruit et force dupes, car on ne douta pas que Fleury (à droite) ne fût perdu et chassé sans retour, qui n'eût été cardinal ni premier ministre de sa vie, si M. le Duc l'eût fait paqueter sur le chemin d'Issy et fait gagner pays toute la nuit. Le roi aurait bien pleuré, mais la chose serait demeurée faite; M. de Mortemart n'aurait pas porté l'ordre à temps. Après cet éclat il fallait que l'un chassât l'autre. L'un était prince du sang, premier ministre et sur les lieux, tandis que l'autre, sans nul appui courait la poste, ou pour le moins les champs vers un exil. Qui que ce soit n'eût osé faire tête à M. le Duc, ni peut-être voulu quand on l'aurait pu, et l'un demeurait perdu et l'autre pour toujours le maître.
"Voici pourquoi je raconte ici cette anecdote, qui outrepasse le temps que ces Mémoires doivent embrasser." Saint-Simon.
PCB
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