Le 14 juillet 1790 fut un événement mémorable. Mais comment en est-on arrivé-là. Il faut revenir deux ans auparavant.
Jacques
Necker, directeur général des Finances en 1777, rend public en 1781 le premier budget de la France dans lequel les dépenses sont supérieures aux recettes. Cela lui vaut un renvoi du gouvernement et la situation financière du royaume ne cesse d'empirer. Rappelé au pouvoir par Louis XVI en août 1788, il reçoit la tâche surhumaine de rétablir les finances. Il espère que le roi va convoquer les États-Généraux, jamais réunis depuis 1614 sous Louis XIII.
Le Conseil d’État du
8 août 1788 fixe la tenue des États-Généraux au 1er mai 1789 : le roi "seul, isolé dans sa famille et dans sa cour, peu confiant, peu communicatif par caractère"… a "le consolant espoir de voir des jours sereins et tranquilles succéder à des jours d’orage et d’inquiétude, l’ordre renaître dans toutes les parties, la dette publique être entièrement consolidée » (i
n F-E Toulongeon,
Histoire de France depuis la Révolution de 1789, tome I, Didot Jeune, Paris Strasbourg, an IX/1801). Vœu pieux à en juger par la suite… Une lettre de convocation du 24 janvier 1789 précise la date et le lieu : le
27 avril à Versailles.
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(in F-E Toulongeon, Histoire de France depuis la Révolution de 1789,
tome I, Didot Jeune, Paris Strasbourg, an IX/1801). Coll. privée. |
Plan de la salle des Menus-Plaisirs à Versailles (ci-contre) où se tiennent les États-Généraux le 5 mai 1789. L’abside A est réservée à Louis XVI et à la famille royale ; en K, les Enfants de France ; en L, les dames de compagnie des princesses ; en B, à la droite du roi soit à la place d’honneur sont placés les députés du clergé, premier ordre du royaume ; en C, ceux de la noblesse ; en D, les plus éloignés du souverain, les députés du tiers-état parmi lesquels Mirabeau, Robespierre etc.
Le nombre de députés du
tiers-état est doublé mais aucune décision n’est prise sur la nature du vote car le roi ne peut se décider. Si la tradition du vote par ordre est maintenue,
clergé et
noblesse l’emporteraient par 2 voix contre une ; au contraire le vote par député (vote par tête) avantagerait les partisans des réformes, députés du tiers- état en tête. Le suspense dure jusqu’au bout. Les élections des députés du tiers-état se font à 3 ou 4 degrés dans le cadre du bailliage, la circonscription de l’époque. Elles ont lieu essentiellement en février et mars 1789 mais elles sont plus tardives à Issy, en avril. Il faut noter que, si Paris est la seule ville de France à avoir des députés spécifiques, ceux-ci arrivèrent les derniers à Versailles ! Trois conditions sont à remplir pour pouvoir voter : être un homme, avoir au moins 25 ans et payer des impôts d’au moins 6 livres (à Paris), ce qui élimine une bonne moitié du corps électoral potentiel.
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(in Henri Martin, Histoire de France populaire depuis les temps
les plus reculés jusqu’à nos jours, tome 3, Furne, Jouvet et Cie, Paris, après 1871,
imprimerie Crété, Corbeil). Coll. privée.
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Costumes des députés des trois ordres.
De face, les privilégiés : un représentant du (haut) clergé
et un de la noblesse richement paré. De dos, un député du tiers-état, sobrement vêtu d’un costume noir et sans couvre-chef.
Le cahier de doléances isséen.
Il est d’usage de rédiger des cahiers de doléances afin de préciser les demandes que les députés élus devront exposer au roi. Voici le préambule du cahier isséen.
« Cahier des Plaintes, Demandes et Doléances des habitans de la
Paroisse d’Issy, Banlieue de Paris fait et rédigé en l’assemblée par eux tenue en conséquence des ordres du Roi adressée à moi N as[Nicolas] Bargue, Syndic municipal de ladite Paroisse le 10 avril 1789. Et par moi convoquée au son de la cloche en la manière accoutumée en l’Église du dit lieu,
le Mardi 14 avril 1789, heure de midi ».
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Issy en 1702. L'église Saint-Etienne en arrière-plan.
Eau forte, A. Manesson-Mallet. Ph. Benoît Chain.
Coll. Musée Ile de France, Sceau. |
La paroisse est l’unité la plus petite du bailliage ; l’église Saint-Étienne est au cœur du village sur la hauteur (ci-contre). Les Isséens sont toujours réunis par un son de cloche. La réunion des votants constitue l’assemblée primaire qui doit élire un représentant pour 300 « feux » (équivalent de la notion économique actuelle de ménage). Plusieurs élections aux degrés supérieurs sont prévues avec la fusion des doléances dans un cahier commun. De ce fait, aucun paysan ne fut élu député du tiers-état.
La majeure partie des articles concerne, sans surprise, la suppression ou le prélèvement direct de certains impôts et taxes.
Les habitants demandent aussi la fin des contraintes favorisant la chasse seigneuriale aux dépens des récoltes.
Ils veulent limiter le privilège des marchands-bouchers de Paris qui font paître leurs moutons dans la plaine d’Issy.
Il y a une revendication d’égalité fiscale et judiciaire ainsi que des demandes politiques comme une assemblée convoquée par la nation et un gouvernement responsable devant celle-là. En effet, plusieurs libelles et avis aux électeurs, tel celui attribué au duc d’Orléans, (futur Philippe-Égalité, conventionnel et régicide) donnent des consignes que l’on retrouve dans de nombreux cahiers de doléances sous forme identique. Dans le cas isséen, c’est celui de l’avocat Darigrand qui inspirera de nombreuses paroisses de banlieue. Nicolas Bargue, syndic de la paroisse d’Issy en 1789, devient ensuite maire de la commune à 2 reprises, au début de la République en l’an I et l’an II (1792/1793) puis sous le Consulat et l’Empire de 1799 à 1807. On le retrouve signant l'acte de naissance de Napoléon Mortier, en 1804 (voir Histoire-Personnages).
Dès la réunion des États-Généraux le 5 mai 1789, la Révolution est en marche car les députés du tiers sont déçus par le bref discours du roi et celui trop long de Necker sur les finances publiques, sans aucune indication sur la forme espérée ou redoutée du vote décidé pour l’assemblée.
P. Maestracci.